Dans le chaudron vaudois du virus du siècle Karim Boubaker médecin cantonal et ancien rameur du club par le journal de Morges

Par Cédric Jotterand 15.03.2020 Journal de Morges

Enfant de la région et ancien de l’Hôpital de Morges, le médecin cantonal Karim Boubaker est au coeur du Coronavirus.

Pour le commun des mortels, l’arrivée du coronavirus est une surprise de taille, un ovni imprévisible qui s’abat sur terre. Mais pour le médecin cantonal Karim Boubaker, ce n’est rien d’autre qu’un rendez-vous en terre – un peu – connue. «Mon rôle, entouré d’une équipe très compétente, est de se préparer à une telle réalité. Nous avons connu le H5N1 (la grippe aviaire), le SRAS et d’autres maladies infectieuses, en sachant que d’autres allaient se présenter. D’une certaine manière, cela fait quinze ans que nous nous préparons à la situation qui fait rage aujourd’hui, ce qui nous permet de l’appréhender avec le calme et la sérénité nécessaires.»

L’homme qui a grandi à Apples et qui a longtemps vécu dans le district explique méthodiquement la manière avec laquelle il a fallu se mobiliser depuis le début de l’année. «Courant janvier, nous sommes informés qu’un nouveau virus arrive depuis la Chine. À partir de là, les spécialistes se mettent en alerte en appliquant les plans de base, en activant le laboratoire qui va s’occuper des tests pour réagir au premier cas et prendre les bonnes mesures. C’est un scénario assez classique avec un gros point d’interrogation: on ne connaît pas l’ampleur de ce qui nous attend.»

Expert du domaine

Depuis deux semaines, Karim Boubaker passe tout son temps sur le dossier, apparaît en première ligne, notamment au côté de Rebecca Ruiz, conseillère d’État en charge de la santé. «Je représente la fonction, mais elle est partagée par des dizaines de personnes, à commencer par mon adjoint Eric Masserey qui est en permanence au front. Mon rôle est davantage d’assurer la conduite et la coordination des opérations. Ce qui se passe très bien dans le canton de Vaud, car la confiance est de mise entre tous les acteurs de ce dossier, qui fait ressortir deux éléments importants: la compétence et l’excellente organisation.»

Si Karim Boubaker tente de ne pas se mettre en avant alors qu’il est de fait, il en a pourtant toute la légitimité. Après avoir suivi une partie de ses études de médecine à Morges, l’ancien sociétaire du Forward Rowing Club – l’aviron – s’est spécialisé dans les maladies infectieuses, ce qui tombe plutôt bien. «Dans les années 2000, alors que j’étais chef de clinique à Sion, j’ai découvert la dimension de la santé publique, ce qui m’a intéressé et m’a finalement conduit à l’Office fédéral de la santé publique, justement comme responsable des maladies infectieuses. Il a fallu par exemple gérer la grippe aviaire et d’autres menaces de ce type, ce qui permet d’avoir un certain recul pour agir au mieux en ce moment.»

Acteurs unis

Et si, pour l’heure, les mesures préconisées sont bien acceptées, qu’en sera-t-il demain si des hôpitaux débordent ou que la situation venait à s’aggraver? «Tant que le message des professionnels passe, la situation est sous contrôle, d’autant que nous essayons d’informer le mieux possible depuis le début. C’est le cas parce qu’un canton comme Vaud est très bien structuré et que du CHUV au pharmacien de village, nous pouvons nous appuyer sur un système de santé de premier plan, avec des acteurs qui donnent les bons conseils au bon moment. Cela permet d’agir avec la confiance de la population.»

Reste que les acteurs de l’économie, du sport ou de l’événementiel au sens large trouvent les mesures «au nom de la santé» parfois sévères, quand elles ne sont pas dramatiques pour leurs activités. Un constat qui touche la corde sensible de cet amateur d’art sous toutes ses formes. «Je reçois des lettres de patrons qui me disent que si ça continue, leurs entreprises vont couler: ça me bouleverse! Mais je dois garder la tête froide et effectuer la meilleure pesée d’intérêts pour le bien de nos concitoyens. C’est l’objectif prioritaire et il doit le rester tant que la situation évolue.»

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Mais interdire un match de foot en plein air et autoriser un spectacle d’humour  avec 400 personnes entassées comme des sardines, est-ce vraiment cohérent? «À un moment donné, il y a nos recommandations et passé un certain stade, il y a la responsabilité de chacun. Si vous avez 75 ans et qu’il y a la soirée du chœur mixte, est-ce vraiment impératif de vous y rendre? Pour soi-même bien entendu, mais également pour le reste de l’assistance. Je crois que les gens sont suffisamment intelligents pour comprendre la situation, même si une limite peut par définition être arbitraire.»

Sous pression

À titre personnel, Karim Boubaker – qui est père de six enfants –  «court partout». Entre les séances avec la cellule mobilisée à quelques mètres de son bureau, les relations avec la conseillère d’État, la Confédération, en plus des sollicitations médiatiques. «J’ai déjà vécu d’autres moments de tension, mais là, tout est focalisé sur ce dossier qui évolue sans arrêt. Je me sens impliqué et aussi stressé, car il y a des impératifs de réussite, ce qui semble évident.»

Avec de prochains défis à relever comme la «capacité d’accueil» de notre système de santé, si les cas explosent, ce qui est inévitable. «Il faudra faire preuve de solidarité, y compris avec d’autres cantons, mais nous y ferons face.»

L’anecdote: un rameur du Forward!

Karim Boubaker et Laurent Chevalier en 2-

Un coup d’œil aux archives montre que Karim Boubaker (54 ans) était un excellent rameur, au sein du Forward Rowing Club, puisqu’il a décroché un titre de champion de Suisse avec Laurent Chevalier au début des années 80. «La compétition dans un sport d’équipe m’a permis d’apprendre à gagner, mais aussi à perdre, en tenant toujours compte des autres. Ce parcours m’aide beaucoup dans la situation du moment où l’esprit d’équipe est une donnée majeure. J’essaie d’être sérieux, tout en gardant une pointe d’humour dans le travail.»

Karim Boubaker en 2-